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Communs numériques, vers un modèle souverain et durable

J’ai apprécié ma lecture du rapport Communs numériques, vers un modèle souverain et durable publié en novembre 2023 par la commission supérieure du numérique et des postes. Je l’ai résumé pour mon usage personnel, puis me suis dit que tant qu’à faire, autant partager. Voilà donc mes notes, avec un parti pris sur les passages sélectionnés.

A sa création en Europe, Internet était le fruit d’une construction collective par des acteurs revendiquant son ouverture et créant des espaces collaboratifs où chacun pouvait s’exprimer, partager et apprendre. Trente ans plus tard, avec l’évolution du numérique et la montée en puissance des Big Techs, il apparait essentiel de préserver la vision originelle d’un Internet non exclusif et non privatisé. En effet, l’hégémonie des très grandes plateformes conduit les citoyens, les travailleurs indépendants, les petites et moyennes entreprises ainsi que les acteurs publics, à une situation de dépendance vis-à-vis de leurs produits et à la captation des données et de la valeur qu’ils créent.

Quelques exemples de communs numériques :

  • bibliothèques open source
  • logiciels libres et open source, comme Linux
  • bases de données ouvertes, comme Open Food Facts
  • communs des connaissances, comme Wikipédia

Les communs numériques ont montré qu’ils fonctionnent pour l’intérêt général, par exemple avec le Nutriscore d’Open Food Facts. Ils soutiennent la souveraineté numérique européenne dans les domaines d’intérêt général.

Les recommandations de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP)

  • Créer un environnement juridique adapté à l’émergence et au développement des communs numériques d’intérêt général financement et communication de l’open source
    • Préciser au niveau législatif la définition de communs numériques d’intérêt général et intégrer le numérique dans les domaines stratégiques pour favoriser leurs financements et lever les barrières à leur développement
    • Intégrer plus largement les communs numériques d’intérêt généraux aux dispositifs de soutien publics pour faire évoluer leurs modes de financement
  • Faire aboutir le rôle moteur de la France dans l’impulsion politique et financière
  • Coordonner et soutenir le développement d’un continuum de financement, de l’amorçage au changement d’échelle en comptant l’ingénierie associée
  • Lancer une étude d’impact économique et sociétal
    • Soutenir les partenariats public-communs
    • Consolider et diffuser les bonnes pratiques des communs numériques
  • Développer une vraie animation d’écosystèmes « interopérables » pour les partenariats publics-communs
  • Soutenir la co-conception d’un guide méthodologique et de bonnes pratiques des communs numériques adapté à tous les contributeurs et utilisateurs
  • Promouvoir une gouvernance démocratique des communs numériques initiés par la sphère publique, intégrant des usagers, des acteurs de la société civile et de l’économie sociale et solidaire.
  • Former les enseignants aux communs numériques.
  • Faire des communs numériques un pilier de l’éducation et de la formation à la citoyenneté numérique à l’école.
  • Intégrer les communs numériques aux formations à destination des élus et personnels des collectivités et de l’État.

La difficulté du financement

Il faudrait inscrire dans la Loi pour une République numérique une définition des données d’intérêt général, en identifiant les domaines publics qui justifient particulièrement la création de communs numériques : éducation, culture, santé, handicap, action sociale…

Aujourd’hui, il faut mieux intégrer le développement des communs numériques d’intérêt général aux grandes stratégies d’investissement public. Les projets ne peuvent pas avoir de fonds propres en raison de l’absence de structuration capitalistique, et il faut que les subventions soient mieux protégées.

Les communs sont souvent structurés en associations, fondations ou coopératives, ce qui limite paradoxalement leur capacité de financement. Ou alors, ils sont bien des entreprises, mais considérées comme une activité économique classique, comme des startups, alors qu’ils devraient relever de la catégorie des Services économiques d’intérêt général (SIEG). Cela changerait le plafonnement des aides publiques dont ils peuvent bénéficier.

Une définition des communs numériques d’intérêt général pourrait être :

  • une gestion désintéressée par une organisation juridique d’utilité publique ou d’intérêt général, à but non lucratif
  • la personne morale a pour finalité la contribution à des domaines d’intérêt général (rappel de la définition : « un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises »)
  • ils respectent les critères des communs numériques : gouvernance démocratique, non-rivalité, communauté, production de ressources sous licence ouverte ou à réciprocité

Aujourd’hui, les financements permettent de financer des investissements, mais pas de la maintenance ou du développement. La prise de participation des startups n’est pas adaptée. La logique de « soutien sur fonds propre » fonctionne, mais elle repose sur la valorisation d’actifs immatériels difficiles à estimer. Il faut penser le financement des communs de façon spécifique et dans la durée plutôt que seulement au lancement.

Plusieurs entités publiques ont lancé des Appels à communs ou des programmes d’accélération d’initiatives citoyennes au niveau national. Il vaudrait mieux coordonner les efforts et avoir un véritable continuum de financement des communs numériques comme on le fait pour l’innovation sociale, et qui prenne en compte la lucrativité nulle ou limitée des projets.

Les partenariats public-communs

Le partenariat public-communs a été inventé dans les années 2010 par Tommaso Fattori. Il propose une sortie de l’approche « marché ou État ». Il inclut :

  • réorientation du soutien de l’État depuis des entreprises privées à but lucratif vers la création de valeur commune
  • pas d’ingérence, mais du soutien des initiatives d’intérêt général

Attention : il ne s’agit pas de déresponsabiliser l’État ni se substituer aux actions citoyennes, mais bien d’un partenariat. Les PPC peuvent de cette façon relever le double défi des politiques publiques : le risque politique et le coût économique.

Les agents de l’État pourraient être mobilisés sur des projets de communs numériques.

Il faudrait soutenir la co-conception d’un guide méthodologique et de bonnes pratiques. Il documentation l’ensemble des expérimentations européennes, nationales et locales. Il inclut :

  • montrer le rôle et l’impact déjà montré des communs numériques d’intérêt général
  • préciser les rôles dans la gestion des communs numériques, en proposant des fiches de postes modèle pour les agents publics
  • faire connaître les clauses qui permettent d’ouvrir les ressources aux marchés publics
  • proposer une première cartographie de communs numériques d’intérêt général, à alimenter dans le temps

L’implication des associations enseignantes et des communautés des logiciels libres est centrale pour former les enseignants et les convaincre de leurs bénéfices comparés.

Enjeux des communs numériques pour le service public et l’intérêt général

Dans les communs numériques, l’usage de la ressource par les uns ne limite pas les possibilités d’usage par les autres et il n’est pas nécessaire d’en réserver le droit d’usage à une communauté restreinte afin de préserver la ressource.

Ils gagnent donc à être partagés le plus largement possible : le partage augmente la valeur de la ressource. Chaque utilisateur est potentiellement un contributeur : tout le monde contribue et le système se « régénère » naturellement par l’usage.

Pour les acteurs publics, en soutenant les Communs :

  • on respecte sa mission d’intérêt général
  • on soutient aussi le lien social, parce que l’engagement a des résultats immédiats, quantifiables et visibles
  • on fait une veille « naturelle » des nouveaux usages
  • on réduit les coûts
  • on évite la dépendance à l’égard des fournisseurs

Le partage de la valeur permet de mieux répartir la valeur et de créer des emplois de qualité. Les coopératives à code open source tendant à proposer un modèle économique plus respectueux des données et à rémunérer les travailleurs plus justement que les plateformes privées. On le voit avec CoopCycle (vs Deliveroo), Label Emmaüs (vs Amazon), Fairbnb (vs Airbnb), etc.

Ça peut même être rentable : les entreprises dans l’UE ont investi environ 1 milliard d’euros dans les logiciels libres en 2018, avec un impact sur l’économie européenne évalué entre 65 et 95 milliards d’euros.

❤️

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