Qui a volé l’appétit des femmes ? On date souvent les troubles alimentaires féminins des années 1970, quand apparaît le diktat de la minceur, mais l’injonction, pour les femmes, à s’entourer de nourriture sans manger est bien plus ancienne. Pandore doit cacher son « estomac de chienne » dans un corps parfait, Ève est condamnée à se soumettre à tous les désirs masculins pour avoir croqué la pomme, au XVIIe siècle, les premiers cafés parisiens servent à manger mais les femmes en sont exclues… Les femmes sont partout présentées comme des ménagères ou des gloutonnes, tandis que les hommes sont des chefs ou des gourmets. Dans l’histoire personnelle de Lauren Malka, le rapport à la gourmandise est central. C’est un plaisir, un lien à la convivialité, aux origines, une créativité des parfums et des couleurs… mais aussi un tourment, une obsession. En se mettant à l’écoute de femmes d’âges et de milieux différents, et mêmes d’autres époques, elle s’est rendu compte que son histoire était partagée par beaucoup. Récit-enquête incarné assaisonné d’anecdotes culinaires historiques ou culturelles et de témoignages, Mangeuses tente d’apporter quelques miettes d’espoir dans un monde d’affamées.
Un ouvrage tellement intéressant que j’ai oublié de le rendre à la bibliothèque, mon inconscient ayant apparemment décidé que j’ai besoin de le posséder.
J’ai beaucoup appris de cette lecture, qui traite de nombreux sujets dont la description de la nourriture dans la fiction et les magazines féminins, l’opposition entre gourmandise mignonne et gloutonnerie honteuse, la place très genrée des chefs et des critiques gastronomiques, ou encore l’histoire des « gourmettes », terme qui précédait la création de celle des « gourmets » toujours au masculin aujourd’hui.
J’apprécie tout particulièrement que Lauren Malka ait réussi à limiter les mentions de troubles du comportement alimentaire (et à complètement éviter celles du poids) dans une grande partie du livre, préférant y consacrer un chapitre plutôt que de l’infuser dans l’intégralité de son propos. Ça permet une lecture plus apaisée et surtout bien plus intéressante des autres chapitres, loin des considérations habituelles.