Vingt ans d’histoire sur glace (et surtout à côté), en 500 mots tout pile, qui m’ont servi de « lettre de motivation » pour porter la flamme olympique, ce que j’ai finalement fait hier à Valence.
À quinze ans, après avoir fêté mon premier podium national en senior, j’ai quitté le foyer familial, arrêté l’école, et commencé à m’entraîner six heures par jour.
En 2002, j’ai huit ans et ma famille vit au Québec. Je commence le short-track aux côtés de ma copine Kim. Deux semaines en février, j’ai le droit de me coucher tard et de regarder Salt Lake City. Le grand public découvre la discipline avec la victoire au 1000 mètres du flamboyant Australien Steven Bradbury par un fabuleux concours de circonstances.
Avançons de dix ans.
De 2012, je ne me souviens pas. J’ai dix-huit ans et ma vie s’est interrompue. Double déchirure de l’adducteur, un bout d’os arraché, deux entorses, la saison 2010-2011 a été laborieuse. D’août à novembre, mon corps me tient loin des patinoires. Début janvier, mes coéquipières et moi battons le record de France junior du relais. En février, je tombe à l’entraînement. Une vertèbre tassée. C’est la goutte de trop ; je ne peux pas reprendre encore des mois de rééducation. Je rentre chez mes parents, je fais mes adieux à Font Romeu.
Il m’a fallu une année entière pour retrouver la force de sortir de chez moi, découvrir ce que c’est que d’avoir des amis qui ne soient pas aussi des rivaux, trouver des sujets d’étude qui m’intéressaient. Je n’ai pas pu regarder les Jeux olympiques de 2014, ceux que je devais faire. C’était trop frais, trop dur. De ma vie, ce sont les seuls que je n’ai pas vus.
J’ai commencé à aller mieux, tout doucement, à trouver des nouvelles passions. J’ai retrouvé le goût de la compétition dans l’esport (jeu vidéo compétitif) – l’activité physique ne m’inspirait qu’une profonde angoisse, mais j’avais tellement besoin de retrouver le sentiment de me dépasser ! Et puis j’ai trouvé Wikipédia. J’ai commencé parce que je voulais rendre service à la société, rendre le savoir accessible à tout le monde. J’y ai trouvé un bénéfice personnel inattendu : le projet m’a permis de travailler sur les biographies et compétitions qui peuplent encore mes rêves, de me réapproprier tout doucement mon passé.
Avançons encore un peu.
En 2022, je reprends le sport. Pour la première fois depuis dix ans, j’enfile des baskets et je vais courir. Deux minutes d’abord, puis dix, puis trente. Je retrouve, de semaine en semaine, l’amour de l’effort et la conscience de mon corps. De loin, je suis mon ancienne coéquipière Tifany qui enchaîne les finales de coupe du monde. Et puis elle tombe. Vingt-huit ans et elle ne montera plus jamais sur la glace. Ce n’est qu’aujourd’hui que je me dis que finalement, j’ai peut-être eu de la chance d’arrêter assez tôt pour m’offrir une deuxième vie.
Je consacre mon temps libre à Wikipédia, ma passion bénévole. J’ai eu la chance d’accéder à d’excellentes études, j’ai un travail qui me plaît et qui, lui, ne disparaîtra pas du jour au lendemain pour un faux mouvement. Mais encore aujourd’hui, quand j’enfile mes baskets, je me demande qui j’aurais pu être.
Et en dehors des 500 mots, pour votre curiosité…
- Kim Boutin a désormais 4 médailles olympiques.
- Tifany Huot-Marchand a échappé à la mort grâce à un miracle logistique, et à la paraplégie grâce à un miracle médical.
- L’histoire a retenu de Steven Bradbury que « les autres sont tombés alors qu’il était loin derrière » plutôt que « s’il chutait une fois de plus, il mourait ».