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Des écoles qui préparent à un monde disparu

Cet article est une traduction de celui-ci.
Les Américains sont-ils de plus en plus idiots ?

 

Nos compétences mathématiques s’écroulent. Notre capacité à lire s’amenuise. Nos enfants écrivent moins bien que ceux de bien des pays en voie de développement. Mais la crise de l’éduction américaine est peut-être bien plus étendue que des rangs plus bas sur les échelles de performance internationales.
Nos enfants apprennent au sein d’un système éducatif créé pour un monde qui n’existe plus.
Pour devenir cuisinier, avocat, philosophe ou ingénieur, il a toujours fallu apprendre ce que ces professionnels font, comment et pourquoi ils le font, et acompagner ceci de connaissances nécessaires à l’intégration au sein de la société. Nous allons de la maternelle au bac, du lycée à l’université, de l’université au doctorat et aux formations professionnelles, tout ça pour s’arrêter à un niveau précis et devenir le cuisinier, ou l’avocat, ou le philosophe, ou l’ingénieur, en sachant ce qu’on devient et ce qu’on sera pour le reste de sa carrière. On apprend, puis on met notre apprentissage en oeuvre. On va à l’école, puis on va au travail.
Cette approche n’est pas compatible avec la réussite personnelle et professionnelle dans l’Amérique d’aujourd’hui. Apprendre et faire sont devenus des concepts inséparables dans le contexte dans lequel nous vivons, qui nous invite à toujours découvrir des nouvelles choses.
Dans les vingt années à venir, la Terre devrait abriter deux milliards de personnes supplémentaires. Ayant presque épuisé la capacité de la nature à nous nourrir, il faudra qu’on découvre un nouveau système alimentaire. Le climat mondial va continuer à changer. Pour sauver nos régions côtières et maintenir des standards de vie acceptables pour plus d’un milliards de personnes, il faudra découvrir une nouvelle science, faire des avancées technologiques, faire évoluer le design et les méthodes architecturales, et expérimenter des modèles économiques viables. Les menaces biologiques vont augmenter alors que nos techniques de médecine actuelles poussent les maladies à une résistance accrue, et pour éviter cela, il faudra découvrir de nouvelles approches médicales que nous pouvons mettre en place de façon pérenne. Les cultures humaines riches et variées vont continuer à se mélanger, plus rapidement que jamais, en raison de flux de migration énormes et d’échanges d’informations sans précédent, et pour préserver l’harmonie sociale, il faudra découvrir des nouvelles références et pratiques sociales et des environnements d’échanges culturels particuliers. Dans ces conditions, le futur de la justice, de la médecine, de la philosophie, de la technologie, de l’agriculture et d’à peu près tous les domaines imaginables devront être réimaginés.
Être bête selon les standards d’éducation actuels, c’est déjà triste. Ne pas réussir à créer une nouvelle façon d’apprendre adaptée aux circonstances actuelles pourrait être un désastre national. La bonne nouvelle ? Certaines personnes travaillent déjà sur le sujet.
Un nouveau mode d’apprentissage voit le jour aux États-Unis. On les appellera des « maker classes » (classes de faiseurs), des programmes périscolaires d’innovation, des concours d’innovation, et rarement des programmes d’apprentissage. Les environnements de découverte sont considérés comme un divertissement culturel, des expériences en ligne aux installations d’art contemporain en passant par les laboratoires pour enfants. Inévitablement, le processus de découverte est devenu un point de mire de la fascination publique.
La découverte a toujours intéressé, mais la façon dont on découvre aujourd’hui pourrait nous intéresser encore plus. Les éducateurs, les artistes, les créateurs, les gardiens de musées, les scientifiques, les ingénieurs, les scénaristes, tous répondent de façon créative à cette nouvelle réalité et, ensemble, redéfinissent l’idée d’apprendre.
À Harvard, où j’enseigne, Peter Galison, professeur d’Histoire de la Science, demande à ses étudiants de tourner des vidéos pour comprendre la science ; Michael Chu, professeur de management, emmène ses étudiants dans des régions pauvres pour qu’ils découvrent l’entrepreneuriat social ; Michal Brenner, du département d’ingéniérie et de sciences appliquées, invite des cuisiniers émérites pour que ses étudiants découvrent le monde de la gastronomie, et Doris Summer, des Langues Romanes, enseigne l’esthétique en proposant aux élèves d’analyser les effets d’un changement culturel sur la société et la politique. De même, dans mon propre cours, « Comment créer des choses et les rendre importantes », les étudiants doivent regarder, écouter, et découvrir en utilisant leur propre génie créatif, tout en observant les innovations marquantes d’aujourd’hui.
Parce que c’est ce que font les explorateurs.
Apprendre au sein d’un processus de découverte original et personnel est une tendance à la hausse sur bien des campus d’universités comme Stanford, le MIT et Arizona State University. Elle se développe également à l’école, au lycée et dans les programmes périscolaires, tout comme dans les programmes soutenus par le ArtScience Prize, une version intensive de la pléthore de prix de l’innovation qui ont vu el jour dans les dernières années. Les étudiants et les participants à ces programmes apprennent quelque chose d’encore plus important que découvrir quelque chose par eux-même, un objectif que partagent les programmes d’apprentissage par la découverte ; ils apprennent l’excitation d’être le premier à le découvrir. La réussite n’apporte pas que des bonnes notes ou un prix financier. Réussir offre la satisfaction d’avoir réalisé un rêve, et de pouvoir s’épanouir dans un monde qui doit répondre à des questions vitales. Et c’est cette passion dont tout innovateur a besoin pour une longue carrière créative.
La découverte, qui est un processus intrigant, est devenue un thème important de la culture et du divertissement contemporains. Dans les galeries d’art et de design, ainsi que dans un certain nombre de musées, les artistes et designers comme Olafus Eliasson, Mark Dion, Martin Wattenberg, Neri Oxman et Mathieu Lehanneu invitent le public à explorer des problèmes contemporains, comme par exemple le travail récent de Dion en partenariat avec le SeaLife Center d’Alaska et le Musée d’Anchorage sur des fragments de plastique retrouvés dans l’Océan Pacifique. Ils transforment les visiteurs eux-mêmes en explorateurs, comme dans l’Appartement de Martin Wattenberg, dans lequel les gens proposent des mots ensuite transformés en oeuvres architecturales. De façon plus populaire, la découverte télévisée passe par les télécrochets et la télé-réalité : des protagonistes « réels » qui rencontrent des difficultés, échouent parfois, et finissent par réussir ; en ligne, l’offre est immense, avec un nombre impressionnants de jeux d’aventure immergeant les jeunes dans un processus de résolution de problèmes liés à des contraintes du jeu.
Tout ceci a mené aux laboratoires culturels.
Les laboratoires culturels conduisent ou hébergent des expériences en art et en design pour explorer des problèmes contemporains qui semblent impossible à résoudre avec la science conventionnelle et dans des laboratoires classiques. Leur histoire a commencé en 2007, quand la Wellcome Collection a ouvert à King’s Cross (Londres) pour proposer aux curieux de s’essayer à la réflexion sur des questions contemporaines liées au corps et à l’esprit, par le biais de l’art contemporain et d’installations diverses. Quelques mois plus tard, à l’automne 2007, le Laboratoire ouvrait à Paris pour explorer les frontières de la science à l’aide de projets expérimentaux en art contemporain et en design, et mettre en pratique des idées d’expérimentation sociale. À l’hiver 2008, Science Gallery a ouvert dans le centre de Dublin, rendant les expériences de science contemporaine accessibles au grand public (et aux étudiants du Trinity College) avec des installations d’art contemporain et de design. D’autres laboratoires culturels ont ouvert depuis, à Amsterdam, au Kosovo, à Madrid et dans d’autres villes du monde entier. Aux États-Unis, ils prolifèrent sur les campus, comme le célèbre Media Lab du MIT, l’iLab de Harvard, et l’unique metaLAB dirigé par Jeffrey Schnapp au sein du Berkman Center de Harvard. Ils seront bientôt rejoints par un laboratoire public, le Laboratoire Cambridge, qui ouvrira ses portes fin octobre 2014 près du MIT et de Harvard, important le modèle européen en Amérique avec un programme de collections temporaires d’art et de design, des séminaires sur l’innovation et des expériences sensorielles sur le futur de la nourriture.
Le laboratoire culturel est le signe le plus récent que l’apprentissage change en Amérique – et il était temps.
Nous ne sommes peut-être pas plus bêtes qu’avant. Mais il nous faut être plus intelligents et savoir nous adapter aux défis auxquels nous faisons face aujourd’hui en endossant le rôle d’explorateurs.

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