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L’eSport, passe-temps national de la Corée du Sud

Cet article est une traduction de celui-ci.
Les meilleurs joueurs de jeux vidéo sont des célébrités en Corée du Sud. Des millions de personnes allument la télévision pour suivre leurs compétitions préférées. Le plus grand portail web du pays a sa propre section dédiée aux résultats de tournois.
Le jeu vidéo de compétition prend maintenant son essor dans d’autres endroits du globe, comme les États-Unis, attirant des milliers de spectateurs aux plus grands événements. Mais en Corée du Sud plus que n’importe où ailleurs, il fait déjà partie de la culture populaire. On voit autant de couples aller dans des salles de tournoi qu’au cinéma. La Corée du Sud nous a régulièrement donné un aperçu de transformations sociétales dues à la technologie avant qu’elles ne s’étendent au monde entier, incluant la pénétration du réseau Internet dans la quasi-totalité du pays et l’adoption des smartphones. Le pays est également pionnier dans le monde des compétitions professionnelles de jeu vidéo, souvent appelées eSport, créant des ligues institutionnalisées, entraînant des équipes professionnelles au financement conséquent et remplissant d’immenses stades de fans venant acclamer leurs joueurs favoris.
Une excitation incroyable qu’on a vue à Séoul dimanche dernier, quand plus de 40 000 fans ont rempli le stade construit pour la demi-finale des Championnats du Monde de football de 2002 pour regarder la finale du championnat du monde de League of Legends, un des jeux vidéo les plus populaires au monde. Sur scène, deux équipes de cinaq joueurs se sont assis devant leurs ordinateurs pour contrôler des personnages fantastiques dans une campagne acharnée pour détruire la base de l’équipe adverse. Trois écrans géants montraient toute l’action.
Le grand favori de la foule en délire était Samsung White, une équipe coréenne qui a écrasé tous ses adversaires pendant le tournoi. L’arène a semblé exploser dès le début du tournoi, quand un joueur de Samsung White a transpercé de son épieu un membre du Star Horn Royal Club, l’autre équipe finaliste, composée de trois Chinois et deux Coréens. Samsung White a gagné le championnat et remporté un prix d’un million de dollars.
« Le jeu professionnel existe sous cette forme et est aussi important surtout grâce aux personnes qui ont lancé l’aventure en Corée du Sud », explique Manuel « Grubby » Schenkhuizen, un joueur professionnel néerlandais. « Le reste du monde s’y est mis des années plus tard, et aujourd’hui, n’arrive encore qu’à produire des pâles copies des réussites coréennes. »
Les prouesses des joueurs d’eSport de ce pays sont un sujet de fierté nationale. L’angoisse était générale lorsque Samsung White a concédé une de ses quatre manches jouées contre Team SoloMid, une équipe d’Amérique du Nord. La semaine dernière, dans les nombreux cafés Internet de la région, un PC bang (le nom coréen donné à un club de gaming) débattait de la fin du tournoi. Un lycéen, Han Song-wook, racontait avoir suivi la montée de Samsung White ces deux dernières années de très près, en partie à cause de son jeu agressif et de ses stratégies originales et risquées.
« Même à l’époque, je voyais leur potentiel. Ils avaient des tactiques impressionantes. »
Les gamers et les employés du secteur ont différentes théories sur l’origine de la popularité de l’eSport en Corée du Nord, mais presque toutes les versions de l’histoire commencent à la fin des années 1990. À l’époque, pour combattre la crise financière asiatique, le gouvernement Sud-coréen s’est concentrée sur les télécommunications et l’infrastructure Internet. En 2000, une communauté active de gamers a émergé, surtout grâce aux PC bangs qui utilisaient ces nouvelles connexions. Les clubs sont devenus l’équivalent de terrains de basket de quartier où les gamers pouvaient s’affronter librement.
Le gouvernement s’est rapidement lancé dans l’aventure, créant la KeSPA (Korean e-Sports Association) pour gérer l’eSport. Des chaînes de télévision à bas prix ont également vu le jour, et une d’entre elles, puis un nombre croissant de chaînes, se sont intéressées à l’eSport.
« Il y a quatorze ans, le gouvernement a donné le feu vert à l’eSport – une organisation professionnelle, un passage à la télévision, c’est devenu courant », explique Jonathan Beales, commentateur d’eSport. « Comme le foot ailleurs dans le monde. »
StarCraft, un jeu publié par Blizzard Entertainment en 1998, est rapidement devenu un des jeux les plus populaires des ligues professionnelles sud-coréennes. Avec un certain investissement et de l’aide de la part de Blizzard eux-mêmes, les tournois sont rapidement sortis du cadre des PC bangs surpeuplés, passant à des salles des fêtes, puis à des stades. En 2004, la finale de la ligue professionnelle de StarCraft attirait 100 000 fans à Gwangalli Beach, dans la ville côtière de Busan.
« Ça a été le moment où on a réalisé : ‘waouh, tout ça est vraiment passé au niveau supérieur’ », raconte Paul Sams, chef des opérations de Blizzard.
Les clubs de jeu vidéo restent une arène importante pour les gamers, cependant. Récemment, un jeudi soir à Séoul, un PC bang était rempli de lycéens assis sur des poufs devant des PCs à grand écran, aboyant des stratégies et laissant échapper des cris de joie ou de frustration. Après avoir abattu un ami à l’aide d’un fusil d’assaut sur Sudden Attack, Kang Mi-Kyung, 15 ans, raconte qu’elle vient au club environ cinq fois par semaine.
« J’adore ce jeu, même si je pense qu’il est trop violent », dit-elle, ajoutant qu’elle vient surtout avec ses amis, incluant quelques garçons qui ne sont pas dans son nouvel établissement.
Bae Ye-seong, 18 ans, qui a regardé ses amis disputer une partie de League of Legends debout devant un écran, a du mal à expliquer pourquoi il joue à des jeux vidéo.
« Jouer à League of Legends, ce n’est pas un critère important pour l’amitié, mais c’est important pour nous. »
Il y a une décennie environ, les entreprises ont commencé à voir l’intérêt du sponsoring de stars de l’eSport. Rapidement, des groupes comme Samsung et CJ Games, un des plus grands développeurs les plus connus de Corée, sponsorisaient des équipes qui vivaient ensemble et s’entraînaient 12 heures par jour.
Ce professionalisme s’est étendu hors de Corée, les sponsors louant des « gaming houses » pour les joueurs dans les pays occidentaux plus récemment. Pourtant, encore peu de joueurs prennent le jeu autant au sérieux que les Coréens.
C’est en partie en raison des avantages de la vie de star qui entoure les meilleurs joueurs ici. Un des joueurs de CJ Entus, une équipe sponsorisée par CJ Games qui est arrivée deuxième aux championnats du monde de League of Legends en 2012, rappelle comment une fan l’a suivi à toutes ses compétitions pour le photographier pendant deux ans. Elle lui a finalement envoyé un album de toutes les photos qu’elle avait prises.
« C’était sympa », rougit le joueur, qui utilise pour les tournois le pseudo Shy (timide).
Cependant, la vie d’une star de l’eSport n’est pas de tout repos. Les joueurs doivent passer leurs journées devant un écran, s’entraînant sans répit. L’entraîneur de CJ Entus, Kang Hyun-jong, dit qu’il a essayé d’encourager ses joueurs à s’amuser avant tout, mais l’objectif premier est clair. « Le meilleur moyen pour un joueur de s’amuser, c’est de savoir comment gagner », continue-t-il.
Un des membres les plus célèbres de CJ Entus, Hong Min-gi, dit qu’il aime toujours le jeu, malgré les efforts qu’il implique. C’est en partie, raconte-t-il, parce qu’il gagne souvent : « je me motive quand je bats quelqu’un ».
Cette attitude agressive aide sans aucun doute les équipes coréennes au cours des tournois majeurs. Le succès du pays à League of Legends a poussé plusieurs équipes occidentales, inculant les Américains Cloud9 et les Européens Fnatic, à faire des stages d’observation des équipes locales. Bien des équipes internationales ont également essayer d’émuler la vie de groupe et l’approche d’entraînement particulière mise en place en Corée du Sud, généralement sans obtenir de résultats concluants. Mais l’obsession des joueurs ici a également encouragé des inquiétudes concernant une possible addiction et les problèmes de santé qui pourraient être posés par autant de temps devant l’écran. Parfois, un fait divers relate une mort due à la fatigue d’un joueur après des jours sans repos dans un PC bang. Une loi force désormais les clubs à évacuer les mineurs après vingt-deux heures.
Jun Byung-hun, un membre de l’assemblée nationale de Corée du Sud et à la tête de la KeSPA, explique que les générations plus âgées ne comprennent pas encore le jeu vidéo. Il a argumenté en faveur de lois moins strictes pour le contrôle du jeu vidéo.
« En Corée, les jeux vidéo sont le baromètre du fossé entre les générations », a-t-il dit dans une interview. Les parents considèrent les jeux vidéo comme des distractions qui empêchent d’étudier, développe-t-il, alors que les enfants les voient comme une partie importante de leur vie sociale. Jun promeut actuellement de nouvelles mesures éducatives qui visent à sensibiliser les écoliers aux risques d’addiction, tout en aidant les parents à mieux comprendre l’univers du jeu vidéo. « Le meilleur moyen d’éviter l’addiction, c’est d’encourager les familles à jouer ensemble. »
Jun a également encouragé un certain nombre d’initiatives visant à pousser les institutions coréennes à traiter l’eSport comme un vrai sport. Récemment, il a aidé à convaincre Chung-Ang University, une des meilleurs universités du pays, à admettre deux étudiants sur la base de leurs résultats eSportifs. Quelques jours avant la finale du championnat du monde de League of Legends, dans l’hôtel où Samsung White logeait et s’entraînait, Cho Se-hyoung, le capitaine de l’équipe, racontait que la pression des fans incontrôlables de l’équipe était énorme. Le joueur, âgé de 20 ans, a également mentionné qu’il prendrait bientôt sa retraite. Même après la victoire de Samsung white, Cho s’est excusé de ne pas avoir joué de façon plus innovante pendant la finale, mais il ne parlait plus de retraite : l’équipe a déjà repris l’entraînement pour les prochains tournois.
Quand on lui a demandé comment il se décrirait, Cho a répondu : « Je suis un sportif ».

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