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Mieux appréhender les actualités

Bonjour ! J’aimerais vous parler aujourd’hui de notre consommation de nouvelles. C’est ma participation à l’Indieweb Carnival d’octobre 2023, organisé par Pablo, sur le sujet du soin de soi et de la routine.

Je viens de passer un mois épuisant, que ce soit physiquement, intellectuellement, ou émotionnellement, donc je ne vais pas vous mentir : écrire ce post, ce n’était pas du self-care. Mais j’espère que le travail que je suis en train de fournir pour mettre des mots sur ce que je ressens m’aidera quand j’aurai la tête plus reposée. Disons donc qu’il compte comme du self-care anticipé !

(Cet article est une traduction en français de Improving our relationship to news, que j’ai publié en version originale anglophone hier.)

Se tenir au courant, c’est important, mais c’est horrible

Je passe trop de temps sur Internet, au point que dans mon suivi de bonnes habitudes, il y a un élément « Passer une heure d’affilée sans regarder un écran » (qui fait par ailleurs des miracles pour mon rapport à la lecture).

Non seulement je passe trop de temps sur Internet, mais surtout, je passe trop de temps à consommer du contenu et des actualités.

Pire encore : il m’arrive de doomscroller, comme beaucoup d’autres internautes. Pour celles et ceux qui ne sauraient pas ce qu’est le doom scrolling, le magazine Elle en a fait une bonne présentation. Pour faire court : c’est la pratique, généralement involontaire, de passer beaucoup de temps devant un écran, à ingérer une quantité monumentale de mauvaises nouvelles et de publications inquiétantes.

Les réseaux sociaux en sont les principaux coupables. On a vu de nombreuses fois que les grandes entreprises de médias sociaux ont conçu des algorithmes qui favorisent des publications négatives ou controversées parce qu’elles génèrent plus d’interactions. Et j’ai une opinion personnelle, qui est qu’on a importé cette culture de l’indignation sur les réseaux comme Mastodon, où il n’y a pas d’algorithme pour nous récompenser de notre colère constante : ça fait juste partie de notre culture, maintenant, j’ai l’impression. On peut réformer le monde des réseaux sociaux, mais ici, je vous parle de prendre soin de soi, pas de changer le monde.

Côté actualités, c’est pas mieux. C’est peut-être même pire, en fait, parce qu’on leur fait peut-être plus confiance qu’à un gros naze qui crache sa haine sur un site de microblogging qui se casse la gueule. Mais les actualités ont un fort biais de négativité, parce que pas de nouvelles, bonnes nouvelles, mais aussi parce que les médias ont eux aussi besoin d’un public pour survivre. Ils ont donc besoin d’activer notre cerveau, et la menace fait ça très efficacement.
On peut réformer le monde des actualités, mais au risque de me répéter : ici, je vous parle de prendre soin de soi, pas de changer le monde.

Bref, on en chie. Alors, qu’est-ce qu’on peut faire ?

J’ai une proposition, qui est loin d’être parfaite mais a le mérite d’exister : réduire notre exposition aux nouvelles, et quand on peut se le permettre, construire un meilleur écosystème.

Créer une relation aux actualités qui ne donne pas envie de crever

Katelyn Burns, que j’admire et apprécie énormément, a récemment écrit un article sur le burnout trans intitulé « It’s okay to take a break from the anti-trans news cycle » (C’est ok de faire une pause dans le cycle des actualités anti-trans). Dans cet essai, elle parle de son vécu de journaliste, en particulier du sien parce qu’elle se spécialise sur les questions trans, l’avortement et, euh, le sport. Elle conclut (traduction de moi, à l’arrache) :

C’est malsain de suivre chaque petit détail, que ce soit parce qu’on les lit ou parce qu’on est la ou le journaliste dont la responsabilité et de les exposer. Prenez mon histoire comme un avertissement, trouvez ce qui vous apporte un peu de bonheur et laissez votre cerveau se reposer de toute cette haine.

Je vous l’ai dit ! Elle est géniale.

De mon côté, j’ai divisé ça en 3 étapes : choisir les bonnes sources d’actualité, réduire la quantité d’information à laquelle on s’expose, et accorder un soin tout particulier à ce qu’on va vraiment lire, en ne rendant pas la consommation de nouvelles trop facile.

Choisir les bonnes sources d’actualité

J’ai fait du travail (mais vraiment pas assez) sur le choix des sources que je veux suivre. Malheureusement, il s’avère que je suis trans et de gauche, donc les grands médias ont tendance à ne pas être très gentils envers moi – peut-être parce que l’essentiel des médias d’actualité appartient à des milliardaires intégristes religieux qui s’en servent ouvertement pour leur propagande. Peut-être.

Ma consommation sur les réseaux sociaux est plutôt américanocentrée malgré tous mes efforts, donc côté actualités et médias j’essaie de vraiment privilégier la France et la langue française, en restant au niveau le plus local possible. J’ai quand même quelques préférés comme Autostraddle, que je ne pense pas pouvoir remplacer, à ce jour, par une alternative locale.

Avec ça à l’esprit, mon meilleur allié en termes de médias, c’est le Portail des médias indépendants de Basta. Basta y inclut tous les médias indépendants francophones plus ou moins à gauche que l’équipe a trouvée, et en plus, le média apporte une curation manuelle à la masse d’informations. Le portail a une newsletter hebdomadaire, qui est vraiment super. Pour ma part, je préfère suivre leur flux RSS en temps réel, un peu plus fourni. Je les apprécie beaucoup et vous les conseille fortement !

Réduire la quantité de nouvelles auxquelles on s’expose

J’ai décidé de me concentrer sur la qualité de mes sources d’information, comme vous avez pu vous en douter avec la section précédente. Au début de ce processuss, je ne me rendais pas compte du problème de la quantité. Mais quand j’ai centralisé mes abonnements vidéo, mes comptes favoris sur les réseaux sociaux, mes médias préférés et les newsletter que je suis dans mon lecteur de flux RSS, j’ai vite compris l’ampleur du problème.

J’ouvre mon lecteur de flux RSS plusieurs fois par jour, c’est un réflexe. Si je ne l’ouvre pas pendant une journée entière, je me retrouve avec pas loin de 200 éléments à rattraper, un nombre que j’aimerais vraiment réduire parce que mon cerveau ne supporte pas les messages non lus. (Cela dit, mon cerveau ne supporte pas non plus de ne pas recevoir de messages non lus, donc peut-être que ça se règle mieux chez le psy que dans les réglages d’Inoreader.)

Bref : je n’ai pas de conseils à donner de ce côté-là ! C’est sur cet élément que j’ai passé le moins de temps et d’efforts, et j’apprécie vos idées et conseils, parce que je n’ai rien à vous proposer.

Je suis très impressionné par la méthode d’Elizabeth Tai pour nettoyer ses sources d’information et je l’imiterai peut-être un jour.

S’il y a une chose dont je peux déjà vous assurer, en tout cas, c’est celle-ci : quand quelque chose de grave se passera, vous saurez. Même si vous êtes loin, très loin d’Internet dans son ensemble. Il m’arrive encore de tomber sur des nouvelles importantes par une discussion IRL avec des proches, par un échange de memes, ou encore parce que le quotidien local est distribué à la boulangerie du quartier.

Pas de quartier pour les nouvelles à lire

J’ai peu travaillé au niveau de la source des informations, mais j’ai établi un petit processus pour trier les nouvelles individuelles que je lis au sein de ces sources.

J’ai fait le choix de ne jamais lire les nouvelles (ou regarder les vidéos) immédiatement. Je passe dans mon flux RSS et je mets une étoile sur tout ce qui attire mon attention, sur la base du titre et de l’aperçu en 2-3 lignes.

Tous les 3 ou 4 jours, je passe dans mes éléments étoilés et j’enlève les étoiles de tous les contenus qui ne m’intéressent plus autant que quand je les ai marqués.

Ensuite, et seulement ensuite, me rends-je sur les articles encore sélectionnés. Là, je les envoie sur ma playlist de vidéos à regarder ou sur ma liseuse (via l’extension Firefox et l’appli Android Push to Kindle). Je les lirai, ou regarderai, quand j’aurai le temps pour ça : rien ne presse.

En général, je regarde des vidéos pendant mes pauses repas, et je lis les articles au réveil ou avant d’aller me coucher (ou pendant des temps de trajet). De cette façon, je ne me laisse pas distraire par l’accumulation de nouvelles en dehors de ces moments spécifiques. C’est un processus qui me convient très bien.

Changer notre rapport aux actualités, à plus grande échelle

Je suis convaincu de l’importance de construire un monde meilleur, quand on en a le temps, l’énergie et les moyens. Voici donc quelques idées pour finir cet article.

La première chose que je voudrais voir plus souvent, ce sont des nouvelles locales. Je me suis promis de traduire cet article en français parce que je suis saoulé de toutes les ressources et réflexions intéressantes en anglais qui oublient qu’un monde existe en dehors des États-Unis. La meilleure source d’actualités que je connaisse, en ce moment, c’est la newsletter hebdomadaire de l’office du tourisme local : un des seuls médias où tout le contenu m’intéresse ! C’est génial, et il en faut plus.

Je crois aussi fermement en la création d’un écosystème d’actualités de qualité. Je suis très reconnaissant envers le Portail des médias indépendants, et j’essaie de faire un don à tous les médias indépendants dont j’apprécie le travail.

Un point essentiel : refuser de prendre part à la négativité. Les avertissements de contenu, sur Mastodon, sont une bonne façon d’au moins ajouter un petit obstacle à l’exposition de personnes qui n’ont rien demandé à des nouvelles négatives. J’ai aussi une règle qui consiste à ne pas partager de contenu négatif qui ne m’affecte pas directement. Le système « s’opposer et proposer » (oppose and propose) me plaît beaucoup : dénoncer quelque chose, très bien, à condition de proposer une meilleure alternative.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai monté Un genre à soi, un blog d’actualités trans positives en français. J’essaie de ne pas me contenter de « marre de la déprime trans » ou « c’est relou, toutes les ressources sur la transidentité sont en anglais », et de construire le média que j’aimerais pouvoir suivre. (Si vous parlez français et que vous êtes trans, non-binaire ou en questionnement, vos articles sont les bienvenus !) Le blog est aussi sous licence Creative Commons CC-BY, ce qui signifie que tout le monde peut republier un article avec un simple lien vers l’original. Du contenu positif et réutilisable pour tout le monde, youpi ! J’adorerais voir les articles republiés dans des médias queer plus larges qui me donnent envie de me flinguer à chaque fois que je les visite !

Une personne ne change pas le monde

Une section de l’essai de Katelyn Burns m’a particulièrement marqué, parce que je m’y reconnais parfaitement :

Je ne suis pas sûre de pouvoir identifier le moment exact où la culpabilité a commencé à s’ajouter au manque, quand j’ai arrêté de couvrir les actualités quotidiennes trans. Les confinements restent un vague cauchemar dans ma mémoire. Et puis un jour, je me suis réveillée et je me suis aperçue que je détestais écrire sur la transidentité. C’était une corvée. Mais faire une pause, c’était me sentir mal aussi : comment pouvais-je laisser tomber les miens aussi lâchement ?

Ce qui me ramène à un vieil article que j’avais écrit sur ne jamais laisser une seule personne représenter toute une communauté.

L’espoir est une stratégie radicale de construction de l’avenir. Si on prend toutes et tous le temps de construire des sources d’actualité plus spécifiques, si on les articule ensemble efficacement pour partager tout un écosystème, si on se bat pour du contenu plus heureux et constructif, peut-être qu’on va finir par rendre le monde meilleur.

Peut-être qu’on arrivera à une étape où se balader sur Internet ne requiert pas toute une stratégie de protection de sa santé mentale.

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  1. Hi! Let’s talk about media consumption, as part of Pablo’s issue of the Indieweb Carnival for October 2023 focusing on self-care and routine. This month…