par

Stagiaire café

Couverture du roman Stagiaire Café.Stagiaire café est un roman court d’Austin Chant que j’ai eu l’honneur de traduire en français. (Rendez-vous dans quelques mois pour la sortie de Peter Darling, un autre de ses romans que je suis en train de traduire !)

Après son diplôme, Kieran s’attendait à démarrer une brillante carrière d’employé de fast-food, pas à décrocher le stage de ses rêves dans le bureau d’une femme politique en pleine campagne électorale. Mais rapidement, deux choses lui gâchent tout son plaisir : la pression d’être un homme publiquement trans au bureau, et Seth, le stratège antipathique qui surveille chacun de ses gestes.

Heureusement, ce stage a un avantage, un seul : Seth est désespérément amoureux de leur patron atrocement hétérosexuel, et Kieran est aux premières loges du spectacle. Mais quand Kieran découvre que Seth peut s’avérer aussi respectueux et encourageant que prise de tête, il commence à ressentir une attirance tout à fait gênante… et évidemment, Seth est bien trop guindé et rigoureux pour lui rendre la pareille.

Vous pouvez l’acheter en ebook sur toutes vos plateformes favorites, y compris sans DRM.

En voici le premier chapitre.


Kieran s’était attendu à ce que le bureau de campagne électorale de Heidi Norton soit installé dans un bâtiment impressionnant. Une façade austère. Une sécurité armée jusqu’aux dents. Quelque chose d’intimidant, d’officiel, quoi.

Au lieu de ça, la branche de San Antonio de la campagne de Norton se trouve au dernier étage d’un immeuble commercial tout ce qu’il y a de plus normal. L’ascenseur monte lentement, le sol est en lino, les néons grésillent et illuminent un plafond d’un gris douteux. Le panneau accroché à la porte est en traviole, et à l’intérieur des locaux, il y a plein de bureaux et plein de gens et plein d’imprimantes et plein de caissons. La porte et les fenêtres sont ouvertes, laissant entrer un peu de la brise d’été, mais il fait quand même atrocement chaud.

Kieran reste longtemps debout dans l’entrée, son sac à bandoulière à l’air le plus professionnel sous le bras, un peu plus anxieux qu’il ne voudrait l’être. Le badge qui indique ses pronoms brille sur le revers d’une chemise qu’il n’a pas pensé à repasser, et son binder est déjà collant de sueur. Quelques personnes se retournent vers lui.

Kieran s’éclaircit la voix.

« Bonjour ? Je suis le nouveau stagiaire… »

Une femme blanche d’âge moyen, assise au bureau le plus près de Kieran, lui adresse un sourire bienveillant.

« C’est vrai ! J’avais oublié que quelqu’un arrivait aujourd’hui. Je suis Marie, je m’occupe des finances.

— Kieran. »

Il se penche au-dessus du bureau pour serrer la main de Marie, puis s’appuie, toujours aussi tendu, à l’encadrement de la porte.

« J’y connais rien aux finances, mais j’ai hâte de commencer à travailler. » Peut-être que s’il le dit assez, ça deviendra vrai. « Enchanté, ajoute-t-il.

— Il faut que tu parles à Seth, répond Marie en souriant. Il est dans son bureau. »

Seth ? Le nom ne lui dit rien, et Kieran pâlit.

« Attendez, Marcus est là, non ? J’étais censé voir Marcus…

— Non, il va arriver plus tard, répond Marie en secouant la tête. Seth s’occupe de tout quand Marcus n’est pas là.

— Ah, d’accord. »

Kieran est loin d’être d’accord avec ce qui est en train de se passer. Ses entrailles se liquéfient. Marcus l’a entraîné dans toute cette histoire de stage, et maintenant il n’est même pas là pour s’occuper des présentations ? Kieran retrouve son sang-froid, observe la salle, voit une porte.

« C’est là, le bureau de Seth ? » demande-t-il en faisant un pas.

Marie le rappelle vers elle.

« Attends un peu. Il a dit qu’il avait un appel important à passer. Crois-moi, il ne vaut mieux pas interrompre Seth quand il est au téléphone ! » Elle pouffe, et quelques personnes autour la gratifient d’un rire gêné. « Assieds-toi. Il aura bientôt fini. »

Il n’y a nulle part où s’asseoir, à part une chaise en face du bureau de Marie, qui lui donne l’impression de passer un entretien d’embauche avec elle. Kieran s’assied contre son gré. Il espère que Marie va reprendre son travail et l’oublier gentiment, mais elle continue à l’observer. Il lui adresse un sourire poli et regarde ailleurs.

Elle se penche en avant. Visiblement, elle a décidé de se montrer sociable. « Kieran… Tu fais ton stage dans l’équipe d’administration, c’est ça ?

— Oui, c’est bien ça.

— Oh, c’est marrant ! Marcus croyait que tu étais un garçon », ajoute-t-elle avec un grand sourire, comme si c’était une blague désopilante.

Kieran se raidit et croise enfin son regard, et le sourire de Marie s’efface lentement.

« C’est pas grave. Je suis sûre que c’est juste une erreur…

— Ce n’était pas une erreur », coupe froidement Kieran.

Il attend que Marie comprenne, mais elle a juste l’air de plus en plus perdue, et il se sent rougir.

« Je suis un homme, dit-il d’une voix forte. Merci quand même.

— Oh, pardon », répète Marie, l’air complètement confuse.

Elle l’observe comme si elle essayait de résoudre un puzzle particulièrement difficile. Les mains de Kieran se crispent sur ses genoux. Évidemment que Marcus lui a promis un environnement de travail trans-friendly sans penser une seconde à vérifier si qui que ce soit était trans-friendly dans la boîte.

« C’est tes cheveux, dit finalement Marie, l’air très satisfaite d’elle-même. Je n’ai pas l’habitude de voir des cheveux aussi longs sur des garçons…

— Oui, d’accord. »

Il a répondu d’une voix beaucoup trop désagréable, il s’en rend bien compte. Kieran voit quelques personnes se retourner vers lui, probablement aussi confuses que Marie, et il ressent soudain le besoin pressant de sortir de la pièce. Il n’a pas l’énergie nécessaire pour supporter les regards curieux et les questions qui suivent inévitablement à chaque fois qu’il doit dire qui il est.

Il a le choix. Soit il se cache dans le couloir, dehors, soit il plonge dans cet enfer une bonne fois pour toutes. Et s’il va dans le couloir, il est à peu près sûr qu’il ne réussira jamais à se convaincre de revenir. Il bombe le torse, se lève, et marche d’un pas décidé vers la porte de Seth. Il ignore Marie qui essaie de le rappeler vers elle, et il frappe à la porte. Fort.

Parce que merde. Merde à ce mec et merde à son coup de fil.

Une éternité plus tard, la porte s’ouvre. Un homme grand et mince aux cheveux noirs – Seth, sûrement – jette un regard meurtrier à Kieran. Il a un téléphone fixe collé à l’oreille, le câble tendu depuis un bureau à l’autre bout de la pièce.

Kieran entend une voix qui marmonne à l’autre bout du fil. Seth place une main sur le combiné et siffle : « Quoi ? »

Kieran se sent rétrécir quand Seth le fixe. Il a l’impression de se faire disséquer. Seth a un regard clair et perçant, ne cligne pas des yeux, et son visage est froid et anguleux. Il arrive à se placer pile à l’intersection entre « terrifiant » et « carrément sexy », et l’espace d’une seconde, Kieran ne sait pas quoi faire du mélange d’hostilité et de curiosité qui l’envahit.

Si Kieran était un lâche, il se cacherait derrière son sac à bandoulière pour mettre un obstacle entre eux. Mais Kieran n’est pas un lâche, et surtout, il veut vraiment sortir de cette pièce, alors il laisse le sac sur sa hanche et adopte un sourire arrogant.

« Bonjour, dit-il. Kieran Mullur. Le nouveau stagiaire. »

Il regarde derrière Seth : trois bureaux, quelques ventilateurs en surrégime. Parfait.

« Je m’installe, hein. »

Seth a l’air hors de lui ; son sourcil ne s’agite probablement de cette façon au repos. Mais il montre, du bout d’un menton très énervé, le bureau du milieu et s’éloigne de la porte.

Kieran se glisse à l’intérieur et ferme la porte avec un soupir de soulagement. Bon. Il aurait pu faire meilleure impression, mais il a l’habitude de ne pas passer pour quelqu’un de sympathique.

Au moins, cette pièce est plus calme, plus grande et mieux aérée que la précédente. Un bureau, probablement celui de Kieran, est vide. Celui de Seth est atrocement bien organisé, avec des piles de paperasse agrémentées de post-it colorés, des stylos et surligneurs assortis parfaitement alignés, des accessoires disposés de façon rigoureusement symétrique. Le troisième bureau est recouvert d’autocollants et surmonté d’un ordinateur fixe qui aurait sûrement l’air haut de gamme s’il n’était pas agrémenté d’un énorme « MARCUS » à moitié effacé. C’est bien le style de Marcus.

Quand son cœur cesse de battre la chamade, Kieran traverse la pièce et se laisse tomber avec soulagement sur sa chaise.

Ça ne sera pas sa chaise bien longtemps si Seth l’assassine, cela dit. Heureusement, Seth a l’air bien trop occupé à annihiler son interlocuteur pour diriger sa haine vers Kieran. À chaque fois qu’il se tait et prête attention à la voix au bout du fil, son nez se plisse de dégoût. Il garde un ton mesuré, mais Kieran entend quelque chose à propos de « financement que vous aviez promis » et de « supprimer toute mention de votre entreprise dans nos éléments de communication ».

Kieran estime que Seth a un petit côté scout, droit et propre sur lui, mais aussi un air plus dangereux. Il a au moins trente ans, il est parfaitement rasé, bien habillé. Ses cheveux sont coupés courts sans fantaisie, un peu plus longs sur le dessus mais gominés, et malgré la chaleur, il porte une veste de tailleur parfaitement ajustée. Le seul élément qui détonne est un petit clou d’oreille en acier à son oreille droite, et même elle parvient à être intimidante.

Super.

Intimidé ou non, Kieran veut quand même savoir ce qu’il se passe. Non seulement il adore se mêler des problèmes des autres, mais en plus, il a désespérément besoin d’une distraction. Il sort son téléphone et fait semblant d’être absorbé par son fil Twitter, mais il écoute en réalité la conversation avec attention. Seth a du mal à s’exprimer, on dirait qu’il se fait constamment interrompre.

« Je ne peux pas être plus clair que ça, dit Seth. La sénatrice ne soutient pas d’entreprise en échange de dons. Si un membre de son équipe vous a dit le contraire, j’en suis sincèrement désolé. » Il écoute un moment et du coin de l’œil, Kieran voit Seth serrer le téléphone comme s’il rêvait d’étrangler un cou à la place. « Non, ce n’est pas… Non, nous ne faisons pas d’exceptions. Absolument pas. Je vous suggère d’appeler le bureau central si vous avez d’autres questions, parce que comme je vous l’ai déjà dit, nous sommes une antenne locale. Je ne peux pas faire passer un message à la sénatrice, elle ne travaille pas ici. Oui. Au revoir. »

Seth raccroche violemment, et Kieran sursaute. Il range son téléphone dans sa poche pendant que Seth tourne sa chaise vers lui.

« Bon », dit Seth.

Il se lève et tend la main sans faire un pas dans la direction du bureau de Kieran. Kieran doit traverser la pièce pour aller la serrer, alors que Seth le fixe d’un air impérieux. Sans surprise, la poignée de main est ferme et froide.

« Bonjour, dit Kieran avec un sourire forcé. Désolé pour, euh, l’entrée en fanfare. Je pensais que j’allais voir Marcus. »

Ce n’est qu’à moitié un mensonge. Seth hausse le sourcil.

« Marcus a dit qu’il vous connaissait. De l’université, c’est ça ?

— Oui. Je l’ai eu comme prof dans plein de matières, dit Kieran, qui tente de cacher son appréhension du mieux possible. Et vous êtes ? Le patron ?

— C’est Marcus, le manager », dit Seth, comme si Kieran était censé savoir ça… Bon, d’accord, c’est sûrement effectivement le genre d’information que Marcus aurait pu daigner fournir à Kieran.

« Je suis Seth Harker, le stratège senior de la campagne. »

À la façon dont il dit senior, on dirait qu’il a un pouvoir de vie ou de mort sur Kieran, qui se retient de faire la grimace.

« Enchanté. Est-ce que Marcus va arriver ?

— Il a eu une urgence familiale. Asseyez-vous, je vais vous présenter vos missions. »

Kieran acquiesce en s’asseyant sur la chaise en face du bureau de Seth. Ce dernier l’observe avec une attention soutenue et franchement gênante.

« Qu’est-ce que c’est, ce badge ? »

Les pronoms. Kieran rougit violemment. Il n’a pas honte de le porter, mais il déteste en avoir besoin.

« Mes pronoms, dit-il le plus tranquillement possible. Je les porte le plus souvent possible quand je rencontre des nouvelles personnes. »

Seth se contente de hocher la tête.

« Je vois. Un rappel, en somme ? »

Kieran ramène sa chevelure épaisse et bouclée derrière son épaule dans un geste légèrement agacé.

« En général, les gens se trompent quand ils me rencontrent.

— Marcus vous a toujours appelé « il » quand il parlait du nouveau stagiaire, dit Seth, donc j’ose espérer que personne ne se trompera. »

Sa voix est tranquille et précise, il n’a pas l’air de penser qu’il pourrait y avoir un quelconque problème. Kieran laisse échapper un soupir à la fois surpris, rassuré et en colère. Il y en a bien déjà un, de problème, mais au moins, il n’aura pas besoin de revivre tout de suite la conversation qu’il vient d’avoir avec Marie.

« Parfait. Ce serait bien de faire passer le message au reste de l’équipe. »

Seth lève un sourcil.

« Pourquoi, il s’est passé quelque chose ? »

Kieran refuse de tomber dans le piège et de balancer les collègues dans leur dos dès son premier jour en poste.

« Non, tout va bien. Je… Je n’avais juste pas l’impression que tout le monde était au courant.

— Je vois. »

Seth se retourne et écrit quelque chose dans un carnet. Kieran se demande ce que ça peut être. « Rappeler à tout le monde que le nouveau stagiaire est un mec », peut-être. Plus probable : « Se débarrasser du chouineur trans dès que possible. » Seth se retourne vers lui.

« Vous me préviendrez si vous avez le moindre problème. »

Il attend que Kieran hoche la tête et Kieran s’exécute, tout en se demandant à quel point il est évident qu’il n’est absolument pas rassuré par cette injonction.

« Bon. Marcus dit qu’il vous connaissait avant votre candidature, et qu’il était impressionné par votre travail en licence. »

En d’autres mots : Marcus est un thésard qui a le cœur sur la main et la conviction que toute personne trans est courageuse et inspirante, il a décidé d’ignorer les notes médiocres de Kieran et de juger que c’est de la faute des cours, qui ne le stimuleraient pas assez selon lui. Et maintenant Kieran a un stage.

« Oui, il a dû se dire que je m’en sortais, dit Kieran avec un haussement d’épaules. Mais bon, je me doute que pendant ce stage, je vais faire plus de café et de photocopies que de stratégies de campagne. »

Il arrache presque un sourire à Seth, dont le coin des lèvres fines frémit.

« Vous n’avez pas tort. Mais votre rôle ne s’y limitera pas. Nous sommes une nouvelle branche de la campagne de la sénatrice Norton, et nous sommes en train de tout mettre en place. Vous devrez soutenir Marcus dans ses efforts d’organisation, et vous vous occuperez de tout ce pour quoi il aura besoin d’aide. Surtout en ce qui concerne les réseaux sociaux et le nouveau site web. Marcus a dit que vous étiez doué, et notre équipe… disons que nous manquons d’expérience dans le digital. »

Kieran interprète mentalement cette dernière phrase en « tout le monde ici est vieux ».

« Euh, oui. Je peux aider.

— Je pense que vous pourrez apprendre beaucoup de votre expérience, si vous êtes acteur de votre formation, dit Seth avec un hochement de tête approbateur. Notre stage vous permettra d’acquérir les compétences nécessaires à la bonne tenue d’une campagne électorale. En travaillant sur notre présence en ligne, vous aurez l’occasion de collaborer avec de nombreuses équipes. Cela pourrait vous aider à identifier le vrai travail qui vous intéresserait par la suite.

— J’ai déjà un vrai travail, réplique Kieran, piqué au vif.

— Oh ?

— Je fais réchauffer des burgers. C’est un vrai travail avec des vraies feuilles de paie et tout le tintouin. »

Seth fronce les sourcils et Kieran se demande s’il doit expliquer que la définition d’un vrai travail, pour lui, c’est sa capacité à payer le loyer. Manifestement, son maître de stage comprend le message, parce qu’il s’éclaircit la voix et ajoute : « Nous pourrons vous offrir des opportunités professionnelles. Rémunérées. Si et seulement si vous avez votre place ici, bien sûr. »

Kieran est à peu près sûr que ça n’arrivera pas.

Commentaire / Comment

Commenter